Aller au contenu
Accueil » Blog » Article paru dans le Figaro

Article paru dans le Figaro

Un article sur le noma et EDN est paru dans le journal Le FIGARO le 22 juin dernier. Il est écrit par
Stephany Gardier, journaliste scientifique, et a été rendu possible grâce à une bourse du Centre Européen de Journalisme (EJC).
Elle a d’abord effectué un premier voyage en septembre 2019 au Mali dans le service
du professeur Hamady Traoré. Elle y a rencontré Marietou, malienne, 33 ans victime du
NOMA à l’âge de 3 ans.

Stephany Gardier est venue en Guinée en décembre 2019 avec un documentariste,
Olivier Prieur, et ils ont suivi la mission de chirurgie maxillo-faciale du professeur Hervé Benateau de EDN venu opérer à Conakry.

Marietou a parcouru plus de 1000 km en mini bus entre Bamako et Conakry avec d’autres enfants
maliens et leurs mamans qui sont venus rejoindre la mission.

Ces patients avaient été sélectionnés en amont par le Pr Benateau et le Pr Traoré.

Stephany a suivi le parcours de Marietou qui a bénéficié d’une reconstruction du visage pendant la
mission à Conakry. Le professeur Benateau avait déjà opéré Marietou quelques années
auparavant à Ouagadougou, à l’occasion d’une autre mission, toujours dans le cadre d’EDN.

EDN remercie ses amis Guinéens, Maliens et tous ceux qui se sont impliqués pour la prise en charge de Marietou.

Lien vers l’article du figaro :  https://www.lefigaro.fr/sciences/le-noma-cette-maladie-meconnue-qui-detruit-le-visage-des-enfants-20200623?fbclid=IwAR2TYSmGLD-JSQjhIRtfFB8VMd9-JN7CvhL6-zzxR78_Qm_fO7cXryP5Ruw

Le noma, cette maladie méconnue qui détruit le visage des enfants

REPORTAGE – Cette gangrène de la face continue de tuer plus de 100 000 enfants dans le monde chaque année, principalement en Afrique et en Asie. Ceux qui s’en sortent restent défigurés à vie.

Par Stéphany GardierPublié le 23 juin 2020 à 09:59, mis à jour le 23 juin 2020 à 09:59

Mariétou (à droite) a été frappée par le noma à l’âge de 3 ans. Elle a déjà subi plusieurs interventions chirurgicales qui lui ont permis de retrouver en partie un visage. Stéphany Gardier

Enveloppée dans un long voile de coton, son bébé serré contre elle, avec pour seuls bagages deux petits sacs en plastique, Mariétou descend du minibus, éreintée après les quarante-huit heures de trajet qui l’ont amenée de Bamako (Mali) à Conakry (Guinée)*. Mille kilomètres, parcourus sur des routes défoncées ou de simples pistes, avec un mal des transports qui ne lui a laissé aucun répit. Mais les nausées n’auront pas altéré la détermination de la frêle Malienne. Si elle a choisi de partir loin de ses trois aînés deux longues semaines, c’est pour bénéficier d’une intervention chirurgicale, la septième en dix ans. Car Mariétou est une survivante: à l’âge de 3 ans, le noma a brisé sa vie.

Cette maladie implacable touche principalement les enfants entre 2 et 6 ans: plus de 80 % en meurent, les autres survivent au prix de terribles souffrances, le visage détruit par la maladie. «Noma viendrait du grec nomen, qui signifie dévorer. Il s’agit d’une gangrène de la face qui démarre par une petite plaie banale dans la bouche, puis progresse en quelques jours en détruisant les muscles, les os et au bout de quelques semaines – si l’enfant n’est pas mort – laisse place à un trou béant dans le visage», explique le Pr Hervé Bénateau, chef du service de chirurgie maxillo-faciale du CHU de Caen, qui s’apprête à opérer Mariétou pour la deuxième fois, dans le cadre d’une mission humanitaire pour l’association Enfants du noma.

https://video.lefigaro.fr/figaro/video/mali-zoom-sur-la-maladie-de-noma/

Comment une simple gingivite peut-elle dégénérer et tuer? Pourquoi certains enfants sont-ils touchés et d’autres pas? Le manque de fonds et de visibilité de la maladie empêche la recherche d’avancer. Seules quelques équipes dans le monde travaillent sur le noma. Aujourd’hui, la piste d’un déséquilibre du microbiote oral semble solide. Le récent projet Afribiota, mené par l’Institut Pasteur, a mis en lumière les liens entre la flore bactérienne buccale et la malnutrition chronique qui toucherait près d’un enfant sur quatre sur le continent africain et reste la porte d’entrée du noma. Toutes les infections (rougeole, oreillons, paludisme…) qui affaiblissent le système immunitaire encore immature des tout-petits font aussi le lit de la maladie. Les campagnes de vaccination et de prévention des maladies infectieuses restent donc primordiales pour renforcer la lutte contre le noma.

«On a certes encore beaucoup à apprendre sur cette maladie mais il est important de souligner que l’on sait déjà le traiter, insiste Jean-Jacques Santarelli. Il n’y a pas besoin de développer de nouveaux médicaments: pris à temps, le noma se soigne en quarante-huit heures avec une antibiothérapie, une réhydratation et une renutrition.» La prise en charge d’un noma en phase aiguë ne coûterait pas plus de 5 euros alors qu’une chirurgie reconstructrice est tout simplement inaccessible pour la plupart des malades d’Afrique subsaharienne.

C’est pourquoi l’association Enfants du noma met en place ces programmes humanitaires. Le Pr Hervé Bénateau a rencontré Mariatou il y a quelques années à Ougadougou (Burkina Faso), où l’avait amenée le Pr Hamady Traoré, chirurgien maxillo-facial et directeur du Centre national d’odontostomatologie à Bamako, impliqué aussi depuis plusieurs années dans l’association. «Les conditions de sécurité nous avaient obligés à arrêter les missions au Mali pour aller au Burkina Faso, alors plus sûr. Depuis, les conflits armés nous ont aussi contraints à quitter Ougadougou. Il a donc fallu trouver un autre pays limitrophe du Mali», explique, fataliste, le chirurgien. À chaque mission, il fait de son mieux pour organiser le transport et la prise en charge de quelques patients maliens sur la longue liste de ceux en attente d’une chirurgie de reconstruction.

La maladie provoque une constriction des mâchoires qui peut rendre difficile l’intubation lors de l’anesthésie et compliquer encore un peu plus les interventions. Stéphany Gardier

Le Mali et le Burkina Faso sont parmi les pays les plus touchés par le noma. «Si la ceinture subsaharienne, du Sénégal à l’Éthiopie, est la plus concernée, la maladie ne touche pas que l’Afrique, précise Hervé Bénateau. On retrouve des cas en Amérique du Sud et en Asie aussi. Le noma est avant tout une maladie de la pauvreté, de la malnutrition et du manque d’hygiène. Quand ces conditions sont réunies, il apparaît.» Le noma sévissait en Europe au Moyen Âge et des cas ont été recensés dans les camps de déportation, lors de la Seconde Guerre mondiale.

Il reste difficile de savoir combien d’enfants sont emportés chaque année par le noma. 100 000 à 150 000 selon certaines estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sans doute loin de la réalité. Les survivants se cachent souvent derrière un voile ou un turban, beaucoup sont isolés socialement ou vivent reclus dans leur famille. Les recenser est donc complexe. Quant aux décès, ils sont rarement rapportés dans des régions où la mortalité infantile reste élevée. «Nous avons démarré, il y a quelques mois, un programme de recherche active des cas de noma au Burkina Faso. Au-delà de l’aspect sanitaire, nous espérons pouvoir contribuer à combler ce vide de connaissances épidémiologiques», explique Jean-Jacques Santarelli, cofondateur et vice-président de l’association Vaincre noma. Le noma avait pourtant été reconnu «problème de santé publique» en 1994 par l’OMS, et même déclaré «maladie prioritaire pour la région africaine» en 1998. Vingt ans plus tard, alors que les conflits armés ont encore détérioré les conditions de vie des populations de la bande sahélienne, la maladie n’est toujours pas sur la liste des «maladies négligées» de l’agence onusienne. Un frein majeur pour convaincre des bailleurs de s’engager, dénoncent les associations.

Malédiction

«En Guinée, comme dans la plupart des pays voisins, aucune aide financière n’existe pour ce type d’intervention. Or le noma touche des familles pauvres, qui ne peuvent pas se” payer le luxe” de faire opérer un enfant. Sans le travail des ONG, ces patients sont condamnés à vivre défigurés», résume Rafiou Dialo, chef du service de chirurgie maxillo-faciale du CHU de Donka (Conakry), qui a rejoint, avec ses internes, l’équipe d’Enfants du noma pour cette mission.

Condamnée: c’est ce qu’a ressenti Mariétou. Longtemps elle a cru que rien ne pourrait lui «rendre» tout ce que le noma lui avait arraché dans l’enfance: «Mes parents avaient essayé de se renseigner au Sénégal, mais personne ne savait quoi faire.» Si elle n’a pas été scolarisée – ses parents craignaient qu’elle ne soit harcelée par les autres enfants -, elle a pu compter sur un soutien fort de sa famille, ce qui est loin d’être la norme. «Les conditions de vie sont déjà très dures dans ces régions, assumer la charge d’un enfant handicapé est parfois tout simplement impossible, constate le Pr Traoré. Sans compter que le noma est encore souvent perçu comme une malédiction, un sort jeté sur l’enfant. Certains sont même abandonnés.»

Informer pour lutter contre ces croyances et pour que les parents osent consulter fait partie des programmes de prévention. «Dix jours suffisent à tuer un enfant, il faut donc que les parents aillent vite et que les agents de santé communautaire soient formés», explique Jean-Jacques Santarelli. Vaincre noma s’appuie sur une approche collaborative impliquant les acteurs locaux (associations, chefs de village, leaders religieux…) pour s’assurer de la pertinence et de la pérennité des actions mises en place. Travailler avec les tradipraticiens, souvent les premiers consultés, est aussi essentiel: «Acquérir des connaissances qui leur permettent, enfin, de traiter le noma est valorisant. Ils sont donc très intéressés», se réjouit Jean-Jacques Santarelli.

« C’est une des maladies les plus difficiles à prendre en charge. Les séquelles ne sont pas qu’esthétiques, elles sont aussi fonctionnelles

Hervé Bénateau, Chef du service de chirurgie maxillo-faciale du CHU de Caen

À l’instar de Mariétou, les survivants qui ont l’opportunité d’être pris en charge par une mission humanitaire doivent s’armer de courage et de patience. Reconstruire un visage détruit par le noma nécessite souvent plusieurs interventions, lourdes. «C’est une des maladies les plus difficiles à prendre en charge. Les séquelles ne sont pas qu’esthétiques, elles sont aussi fonctionnelles, insiste Hervé Bénateau. En cicatrisant, les tissus se rétractent et beaucoup d’enfants ne peuvent plus ouvrir la bouche, ce qui engendre une dénutrition chronique.» Il aura ainsi fallu plusieurs opérations pour que Mariétou, prise en charge la première fois en 2010 sur le bateau humanitaire Mercyships, puisse manger autre chose que du pain trempé dans de l’eau.

Cette constriction des mâchoires peut aussi rendre difficile l’intubation lors de l’anesthésie et compliquer encore un peu plus des interventions qui se déroulent dans des blocs où seul le strict minimum semble présent. «Nous apportons presque tout de France car c’est plus sûr de travailler avec du matériel que l’on connaît. Mais en effet, c’est un retour aux fondamentaux de l’anesthésie», chuchote, les yeux rivés sur les constantes vitales de Mariétou, le Dr Denis Baylot, anesthésiste au CHU de Saint-Étienne. À ses côtés, Mary Christine Cler, infirmière anesthésiste dans le même CHU, confirme: «Disons que je pratique ici l’anesthésie que j’ai apprise il y a vingt-cinq ans! Nous n’avons, par exemple, quasiment pas de machines pour nous assister.»

Pendant plusieurs heures, les équipes des Prs Bénateau, Rafiou et Traoré auront travaillé à restaurer le relief du visage de Mariétou. Elle sait déjà qu’une autre intervention l’attend à son retour à Bamako. Hamady Traoré, cette fois-ci, interviendra seul. Mais grâce à une téléconsultation mise en place entre le CHU de Caen et le Cnos de Bamako, le Pr Bénateau pourra participer au suivi. «Nous réalisons des téléconsultations avant de partir, cela permet une “rencontre“ entre l’équipe et les patients. Nous pouvons aussi mieux nous préparer aux interventions, raconte Hervé Bénateau. Et au retour, cela nous permet de garder un lien avec les patients et de prévoir les “retouches” nécessaires.» Enthousiasmée par le travail accompli ensemble, l’équipe franco-guinéo-malienne est déjà en train d’organiser une prochaine mission. Mariétou, elle, le visage encore tuméfié par son opération, pense aussi à l’avenir: «Tant qu’il y aura quelque chose de possible pour reconstruire mon visage, je le ferai.» Si l’épidémie de Covid-19 le permet, la jeune femme devrait pouvoir être à nouveau prise en charge à Conakry à l’automne prochain.

* Ce reportage a été réalisé avant la pandémie de Covid-19 et a été cofinancé par le Centre européen de journalisme (EJC) via son programme de bourse dédiée à la santé mondiale Global Health Journalism Grant Programme for France.

Laisser un commentaire